Si le télétravail n’a pas attendu la crise du coronavirus pour faire son chemin dans les organisations, le confinement lui a donné un coup d’accélérateur spectaculaire. Mais ce changement s’est fait de façon brutale et a mis en évidence la nécessité de réguler collectivement la pratique, amenée à s’installer durablement dans les entreprises. Alors quelles mesures négocier avec les partenaires sociaux ?
C’est une étude de l’Anact, publiée le 12 juin, qui l’affirme : 88% des salariés ayant été placés en télétravail pendant le confinement souhaiteraient le poursuivre après la crise. Cet épisode n’aura donc pas altéré l’intérêt des travailleurs pour le travail à distance. Il aura aussi permis de voir ce qui a été possible ou non, ce qui a plus ou moins bien fonctionné, et les difficultés éventuellement rencontrées par les managers ou leurs collaborateurs.
C’est pourquoi il peut être très utile de mener cet état des lieux avant de négocier un accord de télétravail, afin de nourrir les discussions sur un certain nombre de points destinés à être négociés.
Trouver le bon équilibre
Les accords définissent un nombre maximal de jours pouvant être exercés en télétravail. Avant le confinement, certains accords n’autorisaient qu’un jour de télétravail par semaine. Après le confinement, certaines entreprises ont entrepris d’aller plus loin. Ainsi PSA négocie un accord visant à ce que ses salariés – hors production – ne travaillent sur site qu’un jour ou un jour et demi par semaine.
Il n’y a évidemment pas de règle idéale en la matière, mais les partenaires sociaux peuvent prévoir une certaine souplesse, afin que chacun puisse trouver l’organisation la plus adaptée à son activité, et chaque manager à son équipe.
Selon l’activité, par exemple dans le cas de projets collectifs, il pourra être plus judicieux de concentrer le télétravail à certaines étapes et de prévoir la présence des salariés sur site à d’autres. Chez Schneider Electric, les télétravailleurs peuvent télétravailler jusqu’à 2 jours par semaine, de façon modulable. L’accord de La Poste prévoit une formule de télétravail fixe avec la possibilité de décaler les jours de télétravail non effectués, et une formule de jours « flottants » : un stock de 25 jours télétravaillables par an pouvant être utilisés en accord avec le responsable.
De même, des accords prévoient la possibilité de suspendre le télétravail pour des raisons de service : formation, réunion exceptionnelle…
Gare à l’isolement
Le volume de jours télétravaillés doit aussi amener à évaluer le risque d’isolement des salariés en télétravail. Un risque dont nombre de télétravailleurs ont souffert pendant le confinement.
Certains accords, comme chez Thales, indiquent ainsi que le manager doit prendre contact régulièrement avec le télétravailleur. D’autres excluent du télétravail les salariés à temps partiel, afin de maintenir une période minimale sur place. L’accord signé en 2019 chez Renault prévoit que les managers organisent jusqu’à deux « journées d’équipe » hebdomadaires, au cours desquelles tous les membres du service doivent être physiquement présents (pour des moments de convivialité, des réunions d’équipe, etc.).
Un autre garde-fou est prévu par la loi, celui de la réversibilité, à l’initiative du salarié comme de l’entreprise. Ce principe est rappelé dans les accords, qui l’assortissent de certaines règles formelles (délai de prévenance, motivation quand la fin du télétravail est demandée par le manager).
Impliquer le management
Le rôle du manager est évidemment central dans le déploiement du télétravail, qui devra généralement adapter l’organisation du travail au sein de l’équipe, mais aussi ses propres modes de management. La (re)négociation d’un accord de télétravail peut être l’occasion d’inscrire un certain nombre de mesures et de bonnes pratiques managériales inspirées des retours d’expérience de la période de confinement.
Ainsi les accords peuvent acter la nécessité de former les managers au management à distance, prévoir des entretiens réguliers avec le collaborateur en télétravail pour adapter le cas échéant l’organisation mise en place.
Avant le confinement, la plupart des accords prévoyaient une période d’essai du télétravail, destinée à vérifier si le salarié disposait de l’autonomie suffisante, d’outils informatique adaptés ou d’un environnement compatible avec le télétravail. Après le télétravail généralisé que nous avons connu, cette période d’essai peut éventuellement être remplacée par un bilan, tiré par le manager et le salarié, de cette période. Cette clause trouvera toutefois à s’appliquer pour les nouveaux entrants.
Critères d’éligibilité
L’accompagnement du management est également important pour éviter les risques d’arbitraire. L’accord doit donc définir des critères d’éligibilité objectifs. Outre des critères d’ancienneté ou de contrat (CDI, à temps plein), les accords mentionnent généralement l’autonomie suffisante du salarié comme critère d’éligibilité, ou excluent les fonctions incompatibles « par nature » (nécessitant une présence physique, un équipement informatique lourd…).
Mais là encore, la période de confinement pourra amener certaines entreprises à revoir ces critères : dans bien des cas, des fonctions que l’on pensait incompatibles avec le télétravail ont finalement réussi à s’y adapter, au moins en partie. C’est donc l’occasion pour le management d’échanger précisément sur le contenu réel du travail de ses collaborateurs afin d’évaluer la nature et la part des tâches pouvant être réalisées à distance. L’accord de La Poste affirme ainsi que les postiers peuvent accéder au télétravail dès lors qu’un volume suffisant d’activités télétravaillables peut être identifié et regroupé.
Par ailleurs, si les accords rappellent l’obligation de motiver le refus d’accorder le télétravail lorsque les critères d’éligibilité sont réunis, certains mettent en place des commissions de recours hiérarchiques, voire paritaires.
Tenir compte des risques psychosociaux
Le confinement a montré que le télétravail pouvait dans bien des cas donner lieu à des amplitudes horaires extensibles. Il est donc impératif de prévoir des mesures pour réguler la charge de travail et préserver la santé des salariés. Pour cela, la négociation pourra porter sur :
– Les plages horaires durant lesquelles le télétravailleur doit être joignable,
– les conditions dans lesquelles des heures supplémentaires peuvent être effectuées,
– les modalités de contrôle du temps de travail et de régulation de la charge de travail,
– la mise en œuvre du droit à la déconnexion,
– l’adaptation des mesures d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle (limite horaire des visioconférences, etc.)
Pour être pleinement efficaces, ces mesures pourront faire l’objet de campagnes d’information, de sensibilisation ou de formations des salariés en télétravail et des managers.
Elodie Sarfati
Cet article a été publié initialement le 17 juin 2020 sur le site de Dialogue Entreprise